Médiator en séance plénière au congrès de la Société Française de Cardiologie : pharmacologie, clinique, surveillance 15 janvier 2011 | Pascale Solère Paris, France — En pleine tempête médiatique, alors que le rapport de l' IGAS va être remis ce jour au ministre Xavier Bertrand , la Société Française de Cardiologie a consacré une session plénière au benfluorex (Médiator) durant ses XXIes Journées Européennes [ 1 ] . Cette session très riche, a été précédée d'une communication de la présidente de la SFC, Pr Genevi è ve Derumeaux (Lyon), destinée à rappeler son implication et celle de la SFC dans ce dossier. Cette session a permis de faire un retour sur la pharmacologie des valvulopathies médicamenteuses ( Pr Atul Pathak , Toulouse), le risque clinique lié au benfluorex et les études le documentant ( Dr Yannick Jobic , Brest), mais aussi de faire un point sur la prise en charge des patients exposés et/ou suspects ( Pr Gilbert Habib , Marseille). L'exposé très complet du Pr Atul Pathak (Toulouse) a permis de faire un retour sur la pharmacologie des valvulopathies médicamenteuses et la toxicité du benfluorex.
Quel est le mécanisme d'action ? Sérotonine et 5HT-2b. Les tumeurs carcinoïdes sécrétant des taux importants de sérotonine entraînent des valvulopathies. Les amphétamines aussi majorent la sérotonine. Mais l'utilisation chronique de fenfluramine plus phentermine ne majore pas la sérotonine ni plasmatique ni plaquettaire, mais induit des valvulopathies de même type. Tandis que les inhibiteurs de recapture de la sérotonine (type Prozac) augmentent la sérotonine sans entraîner de valvulopathies... Pourquoi ? « Parce qu'au-delà de la sérotonine, l'hyperactivation des récepteurs sérotoninergiques 5HT-2b joue un rôle central dans la cardiotoxicité comme l'ont montré de multiples travaux depuis les années 2000 » résume A Pathak. « Avec un mécanisme passant notamment par une hyperproduction de TGF-bêta et la stimulation de la synthèse de collagène et de glycosamine glycanes. Pouvait-on, dès lors, prévoir la cardiotoxicité du benfluorex ? Deux m é canismes cardiotoxiques —s é rotonine, 5 HT2b -- é taient donc potentiellement à l' œ uvre — Pr Pathak (Toulouse) « Dès 1978, le dictionnaire critique des médicaments (Pradal, 1978) cite le benfluorex comme "une amphétamine modifiée par adjonction d'un radical organique" », souligne A Pathak. « En outre, le benfluorex est un dérivé de la dexfenfluramine qui elle-même majore la sécrétion de sérotonine. Enfin, le benfluorex comme la fenfluramine, génère de la norfenfluramine (métabolite) qui est un agoniste puissant des récepteurs 5HT-2b. Deux mécanismes cardiotoxiques — sérotonine, 5 HT2b — étaient donc potentiellement à l'œuvre... » M ê me si tout ne passe peut- ê tre pas par la s é rotonine et les 5HT-2b, il est souhaitable à l'avenir de cribler tous les m é dicaments pour leur activit é agoniste 5HT-2b — Pr Patak Hétérogénéité clinique et criblage : « D'autres facteurs et systèmes pèsent cependant probablement sur la cardioto xicité », nuance A Pathak . « Les polymorphismes génétiques, la réactivité/sensibilité du système sérotoninergique qui est un système dynamique (down et up régulation de l'expression des récepteurs), l'influence d'autres médicaments sérotoninergiques (antidépresseurs, anxiolytiques)… qui expliquent probablement l'hétérogénéité clinique. Néanmoins, même si tout ne passe peut-être pas par la sérotonine et les 5HT-2b, il est souhaitable à l'avenir de cribler tous les médicaments pour leur activité agoniste 5HT-2b ». Le Dr Yannick Jobic (Brest), après un retour sur la pharmacologie, les 7 cas notifiés à l' Afssaps entre 1999 et 2007 (Marseille 1999, Toulouse 2004, 2005, 2006 et 2007, Montpellier 2005) et les 4 cas publiés ( Rafel Ribera J 2003, Noize P 2006, Boutet K 2009, Gueffet J 2010), a très clairement résumé les données mettant en évidence le risque valvulotoxique du benfluorex (Médiator). Un risque mis à jour, pour mémoire, par les études cas témoin menées à Brest et Amiens, les deux études de la CNAM, l'étude prospective REGULATE (à paraîtreDiabetes and Metabolism 2010) et la série de 40 cas publiée ces jours ci (Eur J Echo ).
La première étude CNAM menée sur 1 million de diabétiques dont 43 000 exposés au benfluorex en 2006 qui rassemblent plus de femmes (56,4 vs 42 %) plus jeunes (58,3 vs 57,3 ans) a ausculté le risque de valvulopathie sérieuse nécessitant l'hospitalisation ou une chirurgie sur deux ans (en 2007-2008). Or alors que le taux d'événements est relativement faible, de l'ordre de 1 évènement /1000 patients / an (hospitalisations ou chirurgie: 76 /100 000 patients / an), les RR mettent en évidence un signal fort : hospitalisation ou chirurgie RR = 3,1 ; insuffisance mitrale RR = 2,6 ; insuffisance aortique RR = 4,4 ; chirurgie valvulaire RR = 3,9. Avec un risque de décès multiplié par 3. Le chapitre des valvulopathies m é dicamenteuses n'est pas n é cessairement cl ô t. Il faut donc ê tre vigilant et tester la cardiotoxicit é des m é dicaments interagissant avec le syst è me s é rotoninergique plut ô t in vitro qu'en pharmacovigilance - Les éditorialistes de l'Eur J Ech La seconde étude CNAM menée sur 48 millions d'assurés dont 303 000 exposés met en évidence 64 décès chez les exposés dont 2/3 attribuables au benfluorex après analyse de toutes les hospitalisations, culminant à deux ans. D'où l'estimation des 500 décès sur trente ans. « Au vu des données pharmacologiques connues depuis 1997 et des cas notifiés, la cardiotoxicité du benfluorex n'est pas une réelle surprise. La surprise est plus que l'on ne l'ait pas retiré du marché auparavant pour insuffisance du rapport bénéfice/risque » souligne Y Jobic. « Mais peut-on conclure que les cardiologues et cliniciens étaient aveugles ? Non » selon Y Jobic. « Les cardiologues ne prescrivaient pas de benfluorex et n'étaient donc pas particulièrement alertés. Et la prévalence est faible, autour d'1 cas/1000 patient/an, et l'imputabilité pas toujours évidente. Mais pour reprendre la formule des éditorialistes de l'European Journal of Echography, le chapitre des valvulopathies médicamenteuses n'est pas nécessairement clôt. Il faut donc être vigilant et tester la cardiotoxicité des médicaments interagissant avec le système sérotoninergique plutôt in vitro qu'en pharmacovigilance ! » conclut-il. En matière de prise en charge, « il faut que tous les cardiologues soient capables de faire sur l'échographie un diagnostic de valvulopathie aux anorexigènes » souligne quasiment d'entrée le Pr Gilbert Habib (Marseille). « Maintenant on doit assez facilement arriver à le faire », insiste-t-il cas cliniques à l'appui. Ces cas cliniques illu strent l'aspect échographique caractérisé par la rétraction des feuillets et l'absence en général d'atteinte commissurale. Il faut aussi en particulier y penser lors d'atteintes multivalvulaires de même type ou d'atteinte aortique chez une femme jeune. Et savoir revenir sur les valvulopathies d'étiologie incertaine en auscultant à la fois les échographies et les antécédents de prise souvent « oubliée » de valvulotoxiques.
À Marseille, sur une série de 68 valvulopathies suspectes, on a 56 cas d'antécédent de prise d'anorexigène (82 %) et parmi ceux-ci 34 % d'exposition au seul Médiator, 62 % à Médiator plus Isoméride et 4 % d'Isoméride seul. Il y a donc eu bien souvent polymédication et l'imputabilité n'est pas si facile. Pour information, à 1,9 an de suivi, 14 ont dû être opérés et un est décédé. La DGS , l'Afssaps et la SFC ont publié le 24 décembre 2010 les recommandations de prise en charge et suivi : lettre aux cardiologues, algorithme de l'étude de suivi prospectif, fiches de suivi clinique et de rapport d'échocardiographie à remplir pour chaque patient (disponible sur le site Internet de la SFC). « Un suivi exhaustif des patients avec atteinte valvulaire possiblement liée au benfluorex ou suspects d'HTAP est en effet prioritaire. Et dans l'attente d'une étude, en cours d'élaboration avec la SFC, il faut suivre ces recommandations » rappelle G Habib. « Même s'il est probable que les modalités de suivi soient modifiées et qu'on aille vers une centralisation des données » précise le Pr Christophe Tribouilloy (Amiens). « Sans oublier la nécessité de déclarer les cas en pharmacovigilance » ajoute t-il. Chez quels patients faire une échographie ? demande-t-on dans la salle. « Au moindre doute. D'autant que les patients en surpoids sont souvent dyspnéiques et l'auscultation peu contributive en ce cas si la fuite est modérée » rappelle C Tribouilloy. « Mais aussi chez des patients très inquiets et demandeurs. Et répondre aux demandes d'information des patients même ceux déjà opérés » selon G Habib. « Attention, nous n'avons aucune donnée sur l'histoire naturelle de l'exposition au benfluorex. On est donc obligé d'extrapoler à partir de ce que l'on a appris avec l'Isoméride. Or même là on ne sait pas grand-chose » résume G Habib. Il y a une seule petite étude prospective versus placebo (18 femmes, 13 hommes, 6 mois d'exposition ; Hensrud 1999). Et deux études de suivi post-exposition, l'une sur 50 cas et l'autre sur 5700 patients exposés. Avec, dans cette dernière une aggravation dans respectivement 15 % des IA et 25 % des IM, une stabilité dans 63 % des IA et 47 % des IM, et une amélioration dans 22 % des IA et 28 % des IM. Mais les méthodes d'échographies et d'évaluation des régurgitations utilisées sont dépassées. « Une étude prospective bien menée est donc nécessaire. Et il faudra d'ailleurs être très vigilant sur la quantification dans l'évaluation et le suivi des patients et se référer strictement aux recommandations ESC » souligne G Habib. Auteur : Philippe DA PRATO
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Mars 2011
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